S’adapter à la donnée
Les mégadonnées sont arrivées, et aucune industrie n’est à l’abri. De l’hôpital à la ferme, toutes les entreprises sont touchées et doivent s’adapter. Comment sont-elles affectées et comment peuvent-elles réagir pour assurer une adaptation réussie ? La culture et les objectifs clairs se trouvent au coeur de la réponse.
Depuis deux ans, la Coop fédérée utilise les mégadonnées pour aider les fermiers à tirer le maximum de leurs terres avec le moins de ressources possible. Plus spécifiquement, elle collige des données de plusieurs sources : analyses de sols, rendements antérieurs, informations satellites sur la végétation, qu’elle examine en utilisant des algorithmes. Elle met ensuite en commun tous ces renseignements pour déterminer la quantité optimale de fertilisants et de pesticides à utiliser à différents endroits dans les champs. « Les avancées comme celle-là changent énormément les façons de faire. Les données, c’est un des éléments les plus disruptifs dans l’agriculture », dit Saad Chafki, vice-président des technologies et projets agricoles à la Coop fédérée. Il sera conférencier le 13 septembre à l’événement Forum TI, organisé par le Groupe Les Affaires.
Un défi d’apprentissage
Quand arrivent des telles technologies, les entreprises doivent revoir leurs façons de travailler. La Coop fédérée n’y a pas échappé. Les vendeurs de l’entreprise, ses conseillers-experts qui sont en relation avec les agriculteurs, ont par exemple besoin de compétences spécifiques et nouvelles pour analyser les données. S’il s’agit d’une occasion d’affaires, c’est aussi un défi en matière d’apprentissage. Il y a également ce que Saad Chafki appelle le défi de l’intuition, présent dans toutes les industries, soit le besoin de convaincre les gens qui n’ont foi qu’en leurs bonnes vieilles méthodes du bien-fondé d’un changement.
Il conseille donc d’offrir de la formation, de montrer que le changement n’est pas si compliqué, et surtout, d’expliquer aux gens les raisons des transformations qui sont en cours. « Les gens se construisent souvent des murs eux-mêmes, dit-il. Pourtant, un expert peut en général apprendre tout ce dont il a besoin en seulement quelques jours de formation. En tant qu’entreprise, si le train passe et si tu n’embarques pas, tu es laissé derrière. »
Une mentalité nouvelle
Le défi des mégadonnées n’est pas seulement technique ou technologique. Concrètement, il ne s’agit pas que d’installer un nouveau logiciel et d’apprendre à le faire fonctionner. Pour tirer le maximum des données, une entreprise a souvent besoin avant tout de changer sa culture, explique Placide Poba-Nzaou, professeur de l’ESG-UQAM spécialisé en adoption, implantation et impacts des technologies et systèmes d’information. La raison en est que les données viennent imposer une nouvelle façon de travailler et de prendre des décisions, ce qui demande une nouvelle façon de réfléchir.
Selon lui, une entreprise doit passer d’une mentalité d’expert à une mentalité d’apprenant. En pratique, cela signifie que les décideurs et les employés doivent rester ouverts, chercher des pistes de solution et écouter ce que disent les chiffres. Cette approche contraste avec la façon de faire plus traditionnelle, où l’on se fie à des experts qui ont des réponses basées sur des heuristiques, soit des méthodes préétablies de résolution de problème.
« C’est un changement très important, dit Placide Poba-Nzaou, mais la littérature professionnelle et scientifique confirme qu’il faut être patient, parce que construire une nouvelle culture prend du temps. »
Les objectifs d’affaires d’abord
La bonne implantation des mégadonnées reste encore difficile car, même si quelques tactiques ont fait leurs preuves, il n’existe pas encore de consensus sur la meilleure stratégie ou la meilleure succession d’étapes pour y arriver, contrairement par exemple à l’implantation d’un progiciel de gestion intégré.
Un point sur lequel les écrits professionnels semblent être d’accord, c’est qu’il faut avoir des objectifs précis relatifs à ce que l’on veut accomplir avec les données.
« Cela peut sembler banal, mais beaucoup d’entreprises se lancent en focalisant leur réflexion sur la technologie, soit la collecte et l’exploitation des données, sans réfléchir aux objectifs d’affaires », dit M. Poba-Nzaou. Il étudie actuellement des hôpitaux qui ont adopté les mégadonnées pour comprendre leurs objectifs. Selon ses estimations, moins de 10 % d’entre eux ont des motivations d’ordre clinique. La plupart des motivations sont reliées à l’efficacité organisationnelle.
Pourtant, les mégadonnées, comme beaucoup d’autres nouvelles technologies, sont plus profitables quand leur exploitation est liée au coeur de la chaîne de valeur, à l’activité principale de l’entreprise, soit, dans le cas des hôpitaux, l’aspect clinique et les soins aux patients. «N’ayant pas d’objectifs clairs, les hôpitaux ne tirent pour l’instant pas grand profit des mégadonnées, explique M. Poba-Nzaou. C’était d’ailleurs la même histoire il y a quelques années dans plusieurs industries, pour l’implantation de progiciels. Nous ne sommes donc pas très surpris.» Bref, une mise en garde pour tous les secteurs.