LA PROTECTION DE VOS PRODUITS PAR UN DESSIN INDUSTRIEL : PLUS PUISSANT QU’ON POURRAIT LE PENSER !
Dominique Pomerleau1 et Isabelle Riedl2
ROBIC, S.E.N.C.R.L.
1 Associée, Ph.D., génie de la métallurgie, ingénieure, agente de brevets au Canada et aux États-Unis,
2 Ph.D., sciences médicales, agente de brevets
En octobre 2022, la Cour fédérale canadienne a réaffirmé la force de la protection offerte par l’enregistrement d’un dessin industriel, un outil de protection méconnu et parfois oublié des fabricants.
La société Crocs, Inc. l’a appris à ses débuts. Ayant enregistré des dessins industriels aux États-Unis pour protéger la forme et la configuration de sa sandale originale, mais pas au Canada, elle a rapidement vu les copies envahir le marché canadien. À la suite du dénouement heureux d’un premier litige aux États-Unis, la société Crocs, Inc. a rapidement modifié sa stratégie de protection et a enregistré 35 dessins industriels pour des souliers et sandales entre 2007 et 2009 au Canada uniquement. La figure 1 ci-dessous représente le nombre de dessins industriels enregistrés par Crocs, Inc. au Canada et aux États-Unis au cours des 20 dernières années.
L’adoption de cette nouvelle stratégie de protection a permis à Crocs, Inc. d’avoir gain de cause devant la Cour fédérale du Canada en octobre 2022. En effet, la Cour fédérale a conclu que l’enregistrement numéro 120939, protégeant la sandale Crocs Mammoth™ comprenant une doublure et un col rabattu en fausse fourrure, était contrefait par la fabrication et la vente de la sandale Fleece Dawgs™ de Double Diamond Distribution Ltd (ci-après Double Diamond).
En effet, la Cour a considéré que le dessin industriel de Crocs, Inc. était original et valide et que la sandale de Double Diamond était en contrefaçon de celui-ci puisqu’elle n’est pas substantiellement différente de l’enregistrement. Bien que le procès se soit déroulé après l’expiration de la protection accordée par l’enregistrement numéro 120939, Crocs, Inc. a pu obtenir gain de cause. Selon la Cour, la sandale Fleece Dawgs™ reprend plusieurs des caractéristiques distinctives de la sandale faisant l’objet de l’enregistrement, soient la forme générale, le rabat du col de fourrure, le disque/rivet latéral et la visibilité de la doublure à travers les trous sur le devant de la sandale. Finalement, ce jugement rappelle aussi qu’il n’est pas interdit que certaines caractéristiques du dessin industriel protégé présentent un caractère utilitaire, à condition qu’elles n’aient pas uniquement une fonction utilitaire. Dans son jugement, la Cour a condamné Double Diamond à payer plus de 650 000 CAD pour avoir empiété sur les droits de propriété intellectuelle conférés par l’enregistrement. De plus, si la décision de la Cour fédérale avait été émise alors que le dessin industriel était toujours en vigueur, Crocs, Inc. aurait pu interdire la fabrication et la vente de la sandale Fleece Dawgs™ au Canada, bloquant ainsi un de ses compétiteurs.
Ce jugement montre que l’enregistrement d’un dessin industriel, qui permet de protéger l’apparence de produits (la forme, la configuration, le patron et/ou le motif d’un article), demeure une forme de propriété intellectuelle utile afin de freiner, ralentir et/ou bloquer sa compétition. Contrairement au brevet qui ne couvre que l’aspect fonctionnel d’un produit, le dessin industriel vise à protéger l’aspect visuel d’un objet fini. Les dessins industriels ne sont pas évalués sur la qualité esthétique de leurs caractéristiques visuelles, mais plutôt sur leur originalité.
Il est également à noter que, au cours des dernières années, des modifications importantes sont survenues au Canada en matière de dessin industriel, souvent en faveur des déposants. Premièrement, la durée de la protection au Canada a été prolongée pour passer de 10 ans à compter de la date d’enregistrement à une durée de 15 ans à compter de la date de dépôt. Les États-Unis offrent une durée de protection identique au Canada alors que la durée de protection pour un dessin communautaire en Europe peut s’étendre jusqu’à une durée maximale de vingt-cinq (25) ans. De plus, le Canada a adhéré en 2018 à l’Arrangement de La Haye qui permet d’obtenir un enregistrement dans plusieurs pays/régions membres de cette convention en déposant une seule demande d’enregistrement auprès de l’Office Mondial de la Propriété Intellectuelle. Cette option est intéressante, notamment d’un point de vue économique et procédural, pour un demandeur qui désire protéger son design dans de nombreux pays/régions.
Finalement, il ne faut pas négliger l’effet d’un marquage dissuasif approprié pour un produit faisant l’objet d’une protection par l’enregistrement d’un dessin industriel. Ce produit et toute la littérature associée peuvent être identifiés avec la mention Ⓓ, avec le numéro d’enregistrement et le nom de la société. L’histoire a démontré qu’il peut exister une certaine confusion entre les marquages dissuasifs en termes de brevet et de dessins industriels, notamment aux États-Unis où la nomenclature « Design Patents » est utilisée pour désigner les dessins industriels.
Cette confusion a été mise en évidence au cours la dernière décennie lors de la bataille juridique opposant les géants Apple™ et Samsung™. Ce combat a frappé l’imaginaire, notamment en raison des énormes sommes d’argent accordées en dommages et intérêts, sommes s’élevant jusqu’à plus d’un milliard de dollars, dans un jugement rendu en 2012 (bien que revues à la baisse par la suite). Dans les médias, cette saga a souvent été qualifiée de « Guerre des brevets » (ou « Patent War ») bien que, dans les faits, plusieurs des procès impliquaient une combinaison d’éléments brevetés et d’éléments protégés par dessins industriels.
Ainsi, l’enregistrement d’un dessin industriel est approprié et offre un avantage concurrentiel indéniable puisque l’apparence d’un produit permet couramment de le distinguer des autres produits des compétiteurs, et influence les consommateurs lors de leurs achats. Par ailleurs, contrairement aux brevets, les enregistrements de dessins industriels sont rapides, faciles à obtenir, peu coûteux et permettent d’identifier les produits protégés par un titre de propriété intellectuelle.