Innover sans jamais s’arrêter
Peu d’entrepreneurs remettent aujourd’hui en cause l’importance d’être novateur pour assurer la survie de leur PME. Mais comment s’assurer que son entreprise a développé un cadre favorable aux nouvelles idées, à commencer par celles de ses employés ?
Développer une culture d’innovation est devenu un passage obligé pour les entreprises qui veulent réussir. « La culture d’innovation est capitale pour la survie d’une entreprise, confirme Jérôme Youmani, fondateur d’Innovation Québec. La seule façon pour être viable à long terme est d’innover. »
Bien que l’on ait souvent tendance à considérer l’innovation par le prisme de la rupture technologique, « ce type de grand bouleversement n’est pas la seule voie possible », rappelle Pascal Monette, PDG de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec (ADRIQ). Innover peut aussi consister à imaginer de nouveaux modèles d’affaires ou de nouveaux procédés permettant d’offrir un service inégalé. Chez Filpsec, cela s’est par exemple traduit par la modification de machines existantes. « Pour continuer de produire du fil au Québec, nous n’avions pas le choix d’être différents, étant donné la concurrence qui se trouve à l’extérieur du pays », explique Dominique Quintal, associé et vice-président aux ventes et au marketing du fabricant de fils textiles Filspec. L’entreprise de 290 employés, dont le chiffre d’affaires a atteint les 50 millions de dollars l’an dernier, a profité de son expertise pour se démarquer. « On connaît aujourd’hui nos machines mieux que les fabricants, ce qui nous a permis de développer deux nouvelles technologies uniques sur le marché du fil », affirme M. Quintal. Un positionnement qui aurait même entraîné une hausse de la valeur ajoutée de l’entreprise. « Auparavant, nous nous positionnions uniquement au service des fabricants de tissus. »
Cependant, si tous les individus peuvent avoir une idée géniale, « pour survivre dans le temps, il faut que l’innovation ne dépende plus d’un individu, mais fasse partie de l’ADN de l’organisation », rapporte Michael Kamel, associé services-conseils en stratégie et innovation de Strategy&, chez PwC.
L’audace comme maître mot
Pour engendrer de tels changements, tout commence par une volonté de la direction.
« Si l’on veut que les équipes puissent jouer leur rôle, il faut donner les grandes orientations de l’innovation, en leur expliquant quels peuvent être les grands enjeux », note Laurent Simon, professeur au département d’entrepreneuriat et innovation à HEC Montréal. Il suggère notamment d’en profiter pour inviter des acteurs externes en vue de susciter des réflexions visant à mieux comprendre les enjeux de demain.
Simon De Baene, président de GSoft, commence par se rappeler qu’il y a des humains derrière chaque nouveauté. « Il faut accorder une importance forte aux hommes qui composent l’organisation, pour comprendre quelles sont leurs idées afin d’aller chercher le meilleur de chacun. »
Celui qui se dit être «un grand fan» de Google et de Basecamp en a profité pour développer un environnement inspirant pour les employés de sa société techno. « Il est important que les employés puissent prendre des risques et essayer de nouvelles choses tout en étant assurés que l’entreprise sera derrière eux en cas d’embûches. Il faut créer un climat où ce soit possible. »
Souvent mentionnée comme incontournable, l’instauration d’un droit à l’erreur fait partie des clés pour développer la créativité des équipes et leur autonomie. Mingus Software l’a elle aussi expérimentée. « Cela a changé complètement notre dynamique à l’interne, jusqu’à nos évaluations annuelles, où l’on demande désormais aux employés de choisir eux-mêmes leurs axes d’amélioration, en vue d’être évalués sur la stratégie pour les atteindre », explique Anaïs Berzi, co-PDG.
Une démarche qui est allée aussi jusqu’à modifier les critères de recrutement de l’entreprise, qui font davantage appel aux qualités humaines et à la curiosité des candidats, plutôt qu’à leurs diplômes.
Des obstacles et des silos à briser
« Il reste que c’est toutefois souvent réconfortant de faire toujours les choses de la même façon », concède M. Quintal, de Filspec. Pour accompagner la gestion du changement, ce dernier a donc pris l’habitude de communiquer à l’interne les succès résultant de la démarche d’innovation. « Lorsqu’une question sur l’utilité d’un changement se posait, nous avons pris le temps d’aller chercher l’information afin de montrer pour quelle raison les choses avaient changé. Cela permet d’amener les gens à se questionner. »
Pour M. Youmani, le plus grand défi se situe dans la phase d’implémentation. « L’innovation ne doit pas être considérée comme un flash de génie, mais organisée comme une activité régulière, avec un processus élaboré et des tâches réparties entre les employés. »
M. Monette, de l’ADRIQ, rappelle également l’importance de briser les silos, de sorte que les différents départements travaillent ensemble. « Cela évite de se retrouver avec des produits relevant uniquement de la recherche ou du marketing et qui ne sont pas adaptés au marché. » Mingus Software a par exemple cherché à croiser les expertises. « Nous avons demandé aux employés de choisir une tâche dans laquelle ils pouvaient avoir de l’intérêt, pour aller la pratiquer avec d’autres collègues », explique Mme Berzi. Résultat : chaque équipe a ainsi pu bénéficier de nouvelles expériences et gagner en mobilisation.
Source : Marie Lyan, Journal Les Affaires – Dossier Innovation, 15 septembre 2018