Débat de science : de (belles) paroles et quelques chiffres
Il en fallait au moins un pour parler de science ! Ce débat entre des candidats aux élections québécoises organisé par l’Association francophone pour le savoir (Acfas) a même réussi à remplir un bar de Montréal, un lundi soir avec, outre de nombreux partisans de la culture scientifique et du milieu de la recherche, des jeunes et des curieux.
C’est là qu’on a pu entendre de belles paroles d’encouragement, quelques promesses et aussi le rappel de principes incontournables — mais peu de solutions aux enjeux rencontrés par ceux qui sont sur le terrain : le manque de soutien que reçoivent les professeurs de science (de tous les cycles), le sous-financement des organismes de culture scientifique, le besoin de simplifier les demandes de subventions des chercheurs débordés, la nécessité de soutenir les étudiants aux cycles supérieurs, mais aussi les chargés de cours, les assistants et autres auxiliaires de recherche…
Ce Bar des sciences, animé — avec brio — par l’ancienne directrice de l’information au quotidien Le Devoir, Josée Boileau, en a sans doute laissé plusieurs sur leur faim. Le panel était composé des deux candidats déjà annoncés, Jean-François Roberge, de la Coalition Avenir Québec (CAQ) dans Chambly et Alejandra Zada Mendez, de Québec Solidaire (QS) dans Bourassa-Sauvé, et deux autres qui ont remplacé au pied levé leurs confrères : le candidat du Parti québécois (PQ) dans Saint-Henri-Sainte-Anne, Dieudonné Ella Oyono et la candidate du Parti libéral du Québec (PLQ), aussi ministre responsable de l’Enseignement supérieur et ministre responsable de la Condition féminine, Hélène David.
La salle a particulièrement regretté l’absence de Dominique Anglade, ministre sortante de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, candidate du PLQ dans Saint-Henri-Sainte-Anne — la personne sans doute la mieux placée pour répondre aux questions sur le bilan des années libérales en matière de science et d’innovation au Québec.
D’autant que la science n’a plus son propre ministère depuis 2001 — avec alors à sa tête Pauline Marois — et a du mal à rester dans le giron du Ministère de l’Éducation : notre courte recherche révèle qu’elle en faisait partie entre 1964 et 1981, de 1984 à 1993, de 2012 à 2014 et en 2015. La science navigue depuis entre le ministère de l’Industrie et du commerce (1994-1998) et celui du Développement économique et de l’exportation. Bref, le ministère en charge de l’économie.
Hélène David, interrogée à ce sujet par Josée Boileau, n’a pas émis l’envie d’un retour de la science au sein de son ministère de l’enseignement supérieur — un choix pourtant désiré par le milieu scientifique depuis bon nombre d’années.
Il a été question d’inculture scientifique et certains chiffres ont été apportés : seulement 26 % des Québécois seraient compétents en matière de science, a soutenu Jean-François Roberge de la CAQ. Mais Dieudonné Ella Oyono du Parti Québécois a rappelé que 50 % sont analphabètes fonctionnels — 34,3 % selon la Fondation pour l’alphabétisation. Pour eux, comprendre la science et ses enjeux reste donc une énorme marche à gravir.
Venue de la salle, par la bouche de la directrice du magazine Québec Science, Marie Lambert-Chan, la question très attendue sur un vrai soutien à la communication scientifique, les médias en tête, a suscité une salve d’applaudissements. Comment éveiller le sens de l’émerveillement à la science chez les petits, mais aussi combattre la désinformation, si l’on n’investit pas plus dans les médias, les musées et tous les organismes de culture scientifique, eux qui rapprochent la science des citoyens, et qui sont par ailleurs appelés à évaluer la pertinence des politiques mises de l’avant par ces mêmes partis.
Rappelée à cette même soirée, la décision libérale, en 2014, de couper au sein des subventions de fonctionnement des Débrouillards, de Québec Science et de l’Agence Science-Presse, si elle n’a pas pris effet, a secoué fortement le milieu de la culture scientifique et rappelé la fragilité de ces organismes.
Depuis quelques semaines, c’est au tour des musées de science de s’inquiéter à cause des coupures dans les budgets des sorties scolaires. Certains enfants n’ont d’ailleurs que cette opportunité pour découvrir que la science n’est pas confinée à leurs manuels, mais qu’elle peut se voir, se toucher et s’expérimenter.
Beaucoup de principes, peu d’enjeux scientifiques
Il était bon d’entendre parler d’indépendance des scientifiques, de transparence et de la nécessité de soutenir la recherche fondamentale — mais « en parité » avec la recherche appliquée, a tout de même soutenu le candidat de la CAQ.
Et même si les candidats ont rappelé l’essentiel soutien aux étudiants, ils divergeaient sur les moyens : par des crédits d’impôt (CAQ) aux entreprises lors d’embauches et de stages, en soutenant des initiatives comme Thèsez-vous, contre l’isolement des doctorants (PLQ), mais aussi en leur donnant la chance d’acquérir de l’expérience en entreprise (PQ). En bout de ligne, on n’a toutefois pas su comment ils seraient aidés financièrement — mis à part Québec Solidaire, en faveur de la gratuité.
Tout le monde est favorable à ce qu’on aide les universités et pourtant, comme a rappelé Luc-Alain Giraldeau, le directeur général de l’INRS, lors de la création de cette université, en 1969, on y comptait 147 professeurs et aujourd’hui, presque 50 ans plus tard, cela n’a pas changé.
Par contre, les cégeps sont dans la mire du Parti libéral — particulièrement les cégeps des régions qui, eux aussi, mettent l’épaule à la roue de la science pour développer de l’innovation. Rappelons que le développement des régions fait l’objet d’un plan de soutien de la part de l’actuel gouvernement. Et les régions en ont cruellement besoin, elles qui vivent les contrecoups des fermetures industrielles, de l’exode des jeunes et de la précarité économique.
On a également parlé du nerf de la guerre, le financement de la science, que certains ont jugé insuffisant (QS, CAQ) bien que Mme David du PLQ ait jugé l’actuel budget comme « très généreux avec 2,8 milliards pour la recherche et développement ». Sur l’ensemble du budget du Québec (l’actuel gouvernement prévoit des revenus de 109,6 milliards de dollars en 2018-19), ce qui est alloué à la science représente donc moins de 3 %.
Et le climat ? On a peu parlé de la nécessité de s’adapter aux changements climatiques ou de lutter contre les gaz à effet de serre. On a, en fait, peu parlé d’environnement — hormis QS — ou de l’apport des femmes en science, des sujets d’importance parce que l’avenir du Québec passe aussi par là.
Source : Isabelle Burgun, Agence Science Presse, 12 septembre 2018