Futurs Prix Nobel : bienvenue au Canada !

avril 10, 2017 9:58 am Publié par Marilyn Remillard Catégorisé dans:

C’est maintenant ou jamais.

Tout est en place pour que le Canada ouvre ses portes aux meilleurs chercheurs de la planète, courtise les scientifiques les plus convoités, attire les étudiants les plus prometteurs.

Tout milite en effet pour que Montréal, Toronto et les grandes villes accueillent la crème du milieu académique mondial, surtout dans le domaine scientifique de l’heure : l’intelligence artificielle.

Mais il faut agir vite.


Le Canada doit se faire opportuniste. De la même manière que les États-Unis ont multiplié les Nobels en attirant une pépinière de scientifiques fuyant la guerre à une autre époque, Ottawa doit aujourd’hui tirer profit de l’instabilité qui secoue la planète.

Le Brexit en Grande-Bretagne et l’élection de Donald Trump aux États-Unis ont traumatisé les scientifiques installés depuis peu dans ces pays.

Suffisamment, en tout cas, pour qu’ils soient nombreux à réfléchir à leur avenir.

Un scientifique iranien en début de carrière à Londres a de bonnes raisons de s’inquiéter de l’impact que le divorce politique aura sur ses fonds de recherche européens et sur ses collaborations avec les universités du Vieux Continent.

Un chercheur d’origine yéménite fraîchement installé à San Francisco peut fort bien craindre que son passeport l’empêche un jour d’assister à des conférences internationales ou même de revenir dans son pays d’adoption.

D’ailleurs, la fermeture des frontières décrétée par le président Trump n’a pas eu à se prolonger pour que les ressortissants des sept pays concernés pensent quitter leur pays d’adoption. Et en Grande-Bretagne, selon le magazine Nature, pas moins de 42 % des universitaires ont avoué qu’ils songeaient à plier bagage.

Une situation qui, déjà, fait sonner les téléphones dans les universités canadiennes…


L’occasion est trop belle pour le Canada, dans tous les secteurs de pointe, mais particulièrement en intelligence artificielle et en apprentissage profond, pour lesquels se battent actuellement les grands pays de la planète.

La Corée du Sud a récemment annoncé une stratégie de 1 milliard de dollars. La Chine a lancé un programme ambitieux de concert avec l’Académie des sciences. Le Japon vient d’ouvrir plusieurs centres de recherche d’envergure. Et la France vient tout juste de dévoiler un plan sur lequel ont oeuvré 500 chercheurs, sachant que ce domaine a un potentiel aussi révolutionnaire qu’internet.

Tous ces pays, on le devine, cherchent maintenant à attirer les talents pour se positionner rapidement… mais le Canada a une longueur d’avance.

Il a une image d’ouverture et de tolérance, au moment où ces valeurs font tant défaut. Il peut compter sur un vendeur hors pair en la personne de Justin Trudeau. Et il s’est taillé en intelligence artificielle une réputation qui fait jaser bien au-delà des frontières.

« Montréal est le hot spot, confirme Joëlle Pineau du Reasoning and Learning Lab de McGill, car c’est là que ça se passe. Tout le monde en parle ! »

Pas sorcier, on retrouve à Montréal et Toronto la plus importante masse critique de chercheurs en milieu académique au monde. Et les pionniers Yoshua Bengio, de l’Université de Montréal, et Geoff Hinton, anciennement de l’Université de Toronto, ont réussi à faire du Canada un lieu à la fois convoité par Google, Microsoft… et les chercheurs de toute nationalité.


Le Canada est donc en avant de la parade, d’autant que ses gouvernements sont plus volontaires que jamais. Il faut en profiter pendant que le populisme ralentit les autres pays.

Il faut donc que les gouvernements accélèrent le tempo, que les universités se montrent plus dynamiques et que le privé embarque avec plus d’enthousiasme encore.

Les derniers budgets provincial et fédéral, on ne l’a pas assez dit, ont fait preuve d’une remarquable cohésion sur les questions de science et d’innovation.

Ils ont aligné leur tir. Ils ont promis des investissements. Et ils ont décidé de mettre de l’avant une vision nationale de l’intelligence artificielle, de concert avec l’Institut canadien de recherches avancées.

Tant mieux, car le Canada est plus audible à l’étranger quand il parle d’une voix. Et chacun des trois pôles choisis, Montréal, Toronto-Waterloo et Edmonton, a ses forces respectives.

Il faut donc applaudir l’idée d’implanter dans chaque métropole un institut scientifique indépendant qui fera le nécessaire lien entre les universités et le secteur privé, comme le tout nouveau Vector Institute annoncé ces derniers jours à Toronto. De la même manière qu’il faut applaudir l’intention de Québec et d’Ottawa d’assouplir les conditions d’immigration pour les talents étrangers.

Mais maintenant il faut passer des budgets à la réalité, et vite.

Il faut tendre la main aux cerveaux de la planète, tout en retenant ceux qui sont déjà ici. Il faut que les chaires et les bourses promises voient le jour, que les rémunérations soient à la hauteur des talents qu’on souhaite attirer, que les gouvernements épaulent financièrement les universités pour qu’elles aillent chercher les cerveaux à l’étranger.

Il faut aussi qu’Ottawa fasse connaître sa « stratégie en matière de compétences mondiales ». Il faut que Québec crée sa « super-grappe » en intelligence artificielle pour asseoir ensemble les universitaires et les industriels.

Et surtout, il faut que le privé embarque davantage, comme il l’a fait à Montréal l’automne dernier en participant à la création de l’Institut de valorisation des données (IVADO). Il faut que les champions de l’intelligence artificielle se lèvent, que les entreprises locales travaillent plus étroitement avec les chercheurs, que les entrepreneurs s’intéressent plus activement aux start-up en intelligence artificielle.

Il faut, bref, que le privé fasse sa part et que les gouvernements accélèrent le pas pour attirer les cerveaux de la planète, peut-être les futurs Prix Nobel.

C’est maintenant ou jamais.

Source : François Cardinal, La Presse, 9 avril 2017