Microsoft fait pleuvoir les milliards au Canada… grâce à Trump ?

août 10, 2017 10:08 am Publié par Marilyn Remillard Catégorisé dans:

Qu’il s’agisse d’un effet direct ou pas, les investisseurs américains sont nombreux à attribuer les sommets boursiers actuels au président américain. Son rôle dans l’essor des technos canadiennes n’est pas nul non plus, même si on hésite encore à en parler ouvertement.

En mai dernier, le premier ministre Justin Trudeau s’est rendu à Seattle dans le cadre du Sommet des PDG, un événement de haute voltige entrepreneuriale commandité par Microsoft. Trudeau en a profité pour vanter les mérites du corridor d’innovation de Cascadia, une zone géographique englobant les régions de Seattle et de Vancouver, et grâce à laquelle le fédéral espère générer la croissance du secteur technologique de l’ouest du pays.

Plus d’un professionnel des nouvelles technologies voient d’ailleurs dans ce programme un moyen d’échapper aux turbulences politiques qui secouent presque quotidiennement les États-Unis: il suffit d’aller bosser au Canada. Pour la Silicon Valley, c’est d’ailleurs entendu: les programmes de visas accélérés du nord de la frontière sont bien plus avantageux pour les travailleurs étrangers que les mesures, de plus en plus capricieuses, mises en place par l’administration américaine.

« Avant, on déménageait les gens chez nous… »

Par définition, les start-ups ont plus de flexibilité en matière de mobilité de la main-d’œuvre. C’est moins évident pour des multinationales comme Microsoft. L’entreprise de Redmond, en banlieue de Seattle, a néanmoins annoncé, plus tôt cette année, qu’elle comptait investir 1,9 milliard $, sur dix ans, dans ce fameux corridor Cascadia, du nom d’une superbe chaîne de montagnes du nord-ouest du continent.

Avec de nouveaux bureaux à Vancouver en prime, Microsoft pourra ainsi offrir une meilleure mobilité à ses employés, au besoin, confirme-t-elle. Et cette mobilité s’inscrit dans une culture interne qui a beaucoup changé, ces derniers temps, convient Janet Kennedy, présidente de Microsoft Canada. «C’est vrai qu’auparavant, on avait l’habitude d’acheter des entreprises et de déménager leurs opérations dans nos bureaux, à Redmond. Mais ça a changé», répond-elle, oblique, quand on lui demande si elle ressent un effet Trump dans le secteur technologique canadien. «Maintenant, nous préférons investir là où se trouve l’expertise et la connaissance, afin d’être impliqués là où les choses se produisent.»

Ça cadre avec l’actualité des derniers mois. En janvier, l’entreprise a d’abord mis la main sur Maluuba, une jeune pousse de Waterloo ayant également des bureaux à Montréal, afin d’accélérer l’avancement de sa propre R-D dans les secteurs de l’apprentissage machine en particulier et de l’intelligence artificielle en général. Aujourd’hui, Maluuba est non seulement concentrée à Montréal, mais Microsoft a décidé d’officialiser sa présence chez nous, via un premier investissement de 7 millions de dollars qui lui assurait les bons conseils du professeur Yoshua Bengio, de l’Université de Montréal. En juin dernier, Redmond a renforcé cette présence en menant une ronde de financement de 135 millions $ dans l’accélérateur montréalais Element AI.

Cette série de nouvelles risque d’avoir un effet à long terme majeur pour les entreprises montréalaises spécialisées en IA. Traditionnellement, Microsoft s’appuie lourdement sur ses partenaires commerciaux afin de générer ses propres revenus. Ses serveurs infonuagiques Azure, entre autres, misent sur des applications tierces afin de dépasser Amazon et ses Web Services dans ce marché.

L’intelligence artificielle est au cœur de la stratégie de Microsoft. Et Montréal est au cœur de cette intelligence artificielle. «Les prochaines années vont être très excitantes pour Montréal», ajoute Mme Kennedy. «Nous comptons intégrer de l’IA à tous ce que nous allons développer à l’avenir, ce qui représente en ce moment plus de 17 000 services différents qui peuvent ensuite être partagés avec nos autres partenaires.»

Prochaine cible : les gouvernements

Au Canada, les clients parmi les plus importants de Microsoft se trouvent à Québec et à Ottawa. Il s’agit des deux paliers de gouvernement, qui renouvellent régulièrement de coûteuses licences logicielles qui font rager plus d’un fournisseur indépendant de services concurrents, qui misent généralement sur de logiciels libres beaucoup moins coûteux.

On l’a vu ces dernières semaines, l’infrastructure informatique des gouvernements vieillit mal. Même si les dommages semblent avoir été plutôt bénins, les rançongiciels comme Wannacry ont infecté plus d’un hôpital, au Québec, notamment. Ce qui soulève aussi la question de la sécurité des vieux systèmes comme Windows XP, qu’on retrouve encore sur plusieurs postes informatiques du secteur public.

Pour accélérer la migration de ces vieux PC vers quelque chose de plus moderne, et pour tenter de colmater la fuite vers les solutions open-source, Microsoft a dévoilé en juin le service Microsoft 365, une combinaison logicielle offrant Windows 10 et Office 365 sous forme d’un abonnement mensuel, destinée spécifiquement les grandes organisations, dont le gouvernement.

Si Microsoft Canada réussit son pari, Microsoft 365 lui permettra de diviser sa liste de clients en parts à peu près égales de PME, de grandes entreprises et d’organismes publics, selon Jason Brommet, directeur des partenariats commerciaux pour l’entreprise.

Jusqu’ici, les promoteurs des solutions libres pouvaient ajouter à leur arsenal d’arguments qu’en plus des coûts moins élevés de leurs logiciels, le gouvernement encourageait l’industrie locale, le soutien technique et la personnalisation de ces logiciels selon les besoins spécifiques du client étant généralement effectué par des gens d’ici.

Si Microsoft compte intégrer des outils d’IA conçus ici dans l’ensemble de ses futurs produits, elle risque fort de pouvoir jouer cette même carte à la table des négociations. Et Microsoft sera la première à vous le dire: l’entreprise a beau avoir son centre opérationnel dans l’État américain de Washington, elle a des bureaux et des clients partout sur la planète. Ça en fait une entreprise à laquelle les spécialistes en IA du Canada voudront peut-être se coller davantage au fil des prochains mois.

Que ça plaise ou non à Donald Trump, d’ailleurs.

Source : Alain McKenna, Les affaires, 7 août 2017